"- Tu as peur ?".
"- Non.". Une, deux, trois secondes de silence.
"- Et toi ?". Un soupire. La gamine se lève, se plante devant son ami, toujours assis à même le sol, pose ses mains sur ses hanches et un air provocateur peint sur son visage pourtant si innocent, ouvre la bouche, non sans dissimuler un petit sourire au coin de ses lèvres :
"- Tu crois vraiment que j'ai peur ?". Le gamin, toujours assis, baisse les yeux et semble réfléchir quelques secondes. Sa réflexion était stupide, il s'en rend compte maintenant. Jade n'a pas peur. Jade n'a jamais peur. Ou du moins, elle le cache bien. C'est une bonne actrice du haut de ses dix ans ! Le gamin relève le regard sur son amie, un sourire éclairant son visage.
"- Non !". Et évidemment, satisfaite, la concernée se met à éclater de rire, tendant sa main au gamin pour qu'il se lève. Il ne refuse pas l'aide et se retrouve rapidement à la même hauteur que la blondinette. Elle ne lâche pas sa main, ce geste étant habituel entre eux, et lui lance un regard furtif avant de l'entrainer là où peu d'enfants se risquent à aller. La forêt de Chester. Cette grande forêt sombre et mystérieuse. Beaucoup de légendes parlent de cette forêt. Des histoires loufoques et horribles dont Jade ne donne que peu d'intérêt. Elle s'en amuse même. Les filles de sa classe ne cessent de radoter là-dessus et Jade, elle, s'amuse à alimenter leur dire, sans qu'elles ne se doutent une seule seconde que la gamine se joue d'elle. Quelle naïveté ! Finalement, seul Charlie est apte à être son ami. Plus ils avancent, plus le fameux Charlie semble ralentir. Il a pourtant dit qu'il n'avait pas peur ! Mais Jade le connait et sait que s'il a dit ça, c'est simplement pour ne pas paraitre nul. Il n'avouera jamais avoir peur et ne la laissera jamais seule dans cette forêt, elle le sait. Du coup, parfaitement consciente, elle l'entraine encore plus loin, sachant pertinemment que c'est le seul moyen pour qu'il combatte sa peur. Au bout de quelques mètres, elle s'arrête, lâche la main du beau brun et se retourne face à lui.
"- Tu vois, c'est n'importe quoi, y a pas de fantômes !". Dernière rumeur en date : Lise - une fille de leur classe - a dit que la meilleure amie de la cousine de sa tante avait vu des fantômes... dans la forêt. Charlie regarde à droite, à gauche. Ça amuse Jade le voir si apeuré.
"- Ouais, ouais...". Il n'est pas sûr de lui et ça ce ressent. Il n'a qu'une seule envie, celle de partir d'ici au plus vite. S'il est venu, c'est simplement pour que Jade cesse de lui rabattre les oreilles à propos de ces rumeurs qu'elle trouve stupides. Voila, maintenant elle l'a sa preuve que ceux ne sont que des sottises, elle cessera peut-être d'en parler !
"- Bon, on s'en va maintenant ?". Il en a marre, elle le sait et pour une fois, elle lui donne raison. Elle lui sourit gentiment et tourne les talons, retournant sur ses pas dans le but de sortir de cette forêt. De plus, la nuit tombant à grand pas, ils ne doivent pas tarder à rentrer chez eux. Craquement de branche, bruit de feuille. La gamine se stoppe nette, elle n'est pas la seule à l'avoir entendu puisque Charlie ouvre grand son regard, encore plus apeuré.
"- T'as entendu ?". Elle hoche positivement la tête, son cerveau tournant à mille à l'heure. Elle reste immobile quelques secondes, vérifiant si le bruit se réitère ou non.
"- Déstresses, ça doit être un écureuil ou un lapin !". Charlie souffle, rassuré. Il est vaillant comme gamin, c'est simplement que les forêt, ça n'a jamais été son truc... comme les fantômes ou autres rumeurs qui alimentaient les soirées d'Halloween. Jade reprend sa marche, mais ce n'est que de courte durée puisque quelques secondes plus tard, elle sent un frisson la traverser, quelque chose d'étrange se passer. Elle se stoppe brusquement, le souffle court, la chair de poule recouvrant tous ses membres. Elle ne sait dire ce qu'il vient de ce passer, mais une seconde auparavant, elle a cru ressentir une présence... Une étrange présence. Elle se sent étrange. Elle a envie de vomir, de pleurer, de rire. Un mélange de sentiment étrange s'empare d'elle. Cette fois-ci, c'est à son tours de douter, de ressentir la peur. Elle attrape la main de Charlie et l'entraine le plus vite possible hors de cette foutue forêt.
♦♦♦
"- Tu fais quoi toi, ce week-end ? Tu restes sur Cambridge ou tu rentres chez toi ?". Cette question, Jade l'entend minimum une fois tous les vendredis. Cambridge est sa nouvelle ville de résidence, depuis deux ans, depuis qu'elle a entrepris des études supérieures, pour être plus précise. Disons que Chester n'est pas une très grande ville et que les universités ne choisissent pas une petite ville telle que Chester pour s'y implanter. De plus, l'université de médecine de Cambridge, plus communément appelée Harvard, est pas mal côté.
"- Umh... je vais rentrer, j'ai des gens à voir !". Ses parents lui manquent. Sa sœur lui manque. Son frère aussi et par dessus tout, Charlie lui manque. Pourtant, ils pourraient se voir plus souvent, le jeune homme étudiant lui aussi à Harvard, mais n'étant pas dans la même section, ils n'ont pas vraiment le temps de se voir. Elle sait pertinemment qu'il rentre à Chester le week-end et du coup, elle veut rentrer, simplement pour le voir. La vérité est qu'elle a peur de le perdre. Depuis deux ans, ils se voient moins. Ça lui brise le cœur, mais elle sait que d'un coté, leur si grande amitié est obligée de s’affaiblir quelque fois. Disons que la distance a réussi à lui faire ouvrir les yeux sur un point : elle l'aime. Elle l'aime plus qu'elle n'a jamais aimé. Et pourtant, elle se refuse de lui dire par peur de le perdre.
Cambridge n'est qu'à quelques heures de route de Chester et bien évidemment, elle passe devant la forêt. Cette fameuse forêt. Elle s'arrête, sans vraiment savoir pourquoi. Elle sort de son véhicule et fixe les arbres. Elle ignore pourquoi elle fait ça et pourtant, à chaque fois elle le fait. Depuis ce fameux jour, durant l'année de ses dix ans, elle ne peut s'empêcher d'avoir froid dans le dos lorsqu'elle s'approche de la forêt. C'est le seul endroit qui lui donne un semblant de peur. Elle ne croit pas aux esprits, elle ne croit pas à toutes ces légendes. Et pourtant, lorsqu'elle se trouve devant cette forêt, elle est parcourue de frissons, elle a le souffle court, les jambes qui tremblent. Elle se sent observée, elle se sent mal à l'aise.
"- J'étais sûr de te trouver ici !". Elle sursaute et se retrouve face au beau Charlie. Elle se met à sourire, tentant de sauver les apparences. Elle s'en veut de mentir à son meilleur ami, mais elle ne peut lui avouer la vraie nature de ses sentiments.
"- Tu me connais décidément trop bien !". Il lui sourit, son cœur vacille, elle en vient même à oublier où elle est. Il fait un pas, deux pas, trois pas et se retrouve à seulement quelques centimètres de son visage. Elle cesse de respirer un instant, ne pouvant se détacher de son regard bleu clair si hypnotisant. Il caresse sa joue tendrement avant de s'approcher. Elle se sent défaillir, elle est sur un petit nuage. Elle a hâte et peur en même temps. Mais... crissement de branche. Les deux jeunes sursautent et se séparent rapidement. Cette sensation si particulière, elle l'a déjà ressenti. Une fois dans sa vie. Une seule fois. Ce frisson horrible et langoureux, ce cœur qui s'emballe...
"- C'était quoi ça ?". Elle observe autours d'elle, la peur au ventre. La réalité de l'endroit où elle se trouve lui revient en pleine gueule, l'assommant d'un coup.
"- Déstresses, ça doit être un écureuil ou un lapin !". Elle repose son regard sur un Charlie amusé. C'est exactement ce qu'elle lui a dit, quelques années auparavant, lorsqu'ils étaient venus dans cette forêt. Il le sait et il s'en amuse. La situation est inversée, ils ont changé, ils ont grandi. Mal à l'aise par ce qui allait se passer, elle secoue sa tignasse blonde et reprend son self contrôle.
"- Bon, je dois y aller, à plus !". Sans lui laisser le temps de répondre, elle tourne les talons, monte dans sa voiture et roule jusqu'à la maison familiale.